La Calligraphie Arabe… un Art universel
La calligraphie est l’art de la belle écriture qui s’apparente au dessin ou à la peinture. Elle embellit le texte et lui ajoute une certaine valeur interprétative. Le Coran a joué un rôle primordial dans le développement et l’évolution de l’écriture Arabe, et par là même, de la Calligraphie Arabe.
Si celle-ci dans un premier temps est utilisée pour le Coran, très vite, elle s’étend à l’administration, à l’architecture et la céramique. La calligraphie n’est plus réservée aux livres, elle s’étend aux monuments et orne les objets. Cet art prit de plus en plus d’ampleur dans le monde arabo-musulman. Il se révéla prestigieux et devint emblématique de cette civilisation, à côté de l’art de l’enluminure. L’un et l’autre se déploient aussi bien dans les manuscrits que dans l’architecture où leurs qualités musicales, rythmiques et mélodiques aussi bien qu’architecturales provoquent l’admiration et l’émerveillement.
L’Islam et l’Art
La théorie qui dit que: l’Islam interdisant toute représentation de Dieu, des Prophètes et des êtres vivants, c’est le développement de la calligraphie qui a permis de contourner ce précepte par une stylisation des écritures, reste à discuter. En effet, il est facile pour réfuter ces allégations de rappeler qu’un interdit n’a jamais pu étouffer un moyen d’expression. Cet art, qu’est la Calligraphie , a puisé sa grandeur chez un peuple qui glorifie le verbe. On pourrait expliquer en partie par l’histoire et par l’environnement cette évolution. Le peuple arabe est un peuple de l’oralité, arpenteurs de nature aride, voyageurs, ils ont toujours vécu avec la poésie, leur art de prédilection. Le mot concrétisait l’image dans une sorte de matérialité éphémère alliant musicalité déclamatoire et sens. Plus tard, lorsque l’écriture prit sa place dans cette civilisation, le mot calligraphié en fut tout naturellement le prolongement comme inscription de cet art.
De nombreuses écoles de calligraphie virent le jour, chacune puisant dans la richesse des arts locaux. C’est ainsi que furent fondées les écoles persane, turque, andalou-maghrébine… caractérisées chacune par leur propre style. Certaines de ces écoles subirent l’influence des styles apparus à l’âge d’or de la civilisation musulmane du VIIIè au XIIIème siècle, où une des grandes écoles, celle de Bagdad, fut marquée par trois grands maîtres. Chacun d’eux travailla la lettre comme une matière première qui portera l’empreinte de son savoir dans le domaine pictural, architectural ou philosophique.
Le premier, Ibn Muqla (886-940), fait de cet art une science exacte, en exploitant la notion de proportions parfaites pour fonder les règles de la calligraphie. Ce principe fut d’ailleurs appliqué à tous les arts, il avait pour base l’union du beau et de l’utile. Profitant de ses fonctions de vizir, Ibn Muqla introduisit la calligraphie sous forme d’écriture ministérielle dans les administrations. Plus d’un siècle plus tard, une nouvelle dimension fut donnée à la lettre par un autre maître de l’école de Bagdad, Ibn Bawab (12è siècle). Il vit dans la lettre l’image d’un être humain divisé en tête, corps et jambe… Puis un troisième grand maître, Mustaâsimi (13è siècle) issu de la même école, dota la lettre de sa dimension spirituelle, de sorte que désormais on vit dans la calligraphie une forme architecturale qui accueille l’âme de la lettre.
Styles
Il existe une grande variété de styles calligraphiques qui varient en fonction de la région, de l’époque, des matériaux, du calligraphe. Aussi selon les nécessités et les désirs, et le type de document rédigé : forme destinée à calligraphier le Coran, ou son commentaire, celle de la poésie, de l’administration…etc.
Deux styles se distinguent alors dans la calligraphie arabe : le coufique (rectiligne) et le cursif (rond). La première écriture cursive date des premières années qui ont suivis la naissance de l’Islam. Les copistes vont transformer cette première écriture irrégulière et la rendre plus harmonieuse. Le premier style calligraphique arabe est alors le coufique (de la ville irakienne Kufa) qui combine les lignes et les formes circulaires, tout en restant un style angulaire où domine l’horizontalité. Différentes tendances se marquent selon les utilisations et les supports, donnant naissance à de nouveaux styles : coufique quadrangulaire, coufique feuillu, coufique à fleurs, etc.
Parallèlement au style coufique, on retrouve les styles calligraphiques cursifs caractérisés par la fluidité de la ligne. Le geste, le mouvement et la dynamique deviennent des facteurs caractéristiques et déterminants pour l’apparition de styles nouveaux comme le diwani (style du diwan, chancellerie ottomane). Dans cette variété de styles, on peut également citer le Thuluth, le Farsi ou le Naskh.
Aux confins occidentaux du monde musulman, les andalous et les maghrébins, s’inspirant de la forme antique du coufique firent éclore des formes d’une grande liberté, sans s’astreindre à respecter des règles strictes. On peut aujourd’hui encore admirer l’élégance de leur création, sous le nom d’andalou-maghrébin, aussi bien dans les manuscrits que dans l’architecture. Quant à l’école persane, elle se caractérisa par trois formes principales : le ta’liq, le nasta’liq et le cheekasté. Les turcs de même créèrent plusieurs formes : le tugra, le diwani, le ruqaa et tant d’autres… De leur côté les africains musulmans s’inspirant du style andalou créèrent des formes pour transcrire leurs langues tel le swahili…Les musulman de Chine quant à eux, trouvèrent une nouvelle forme connue sous le nom du « Style Chinois ».
Il est intéressant de noter que dans ce domaine, contrairement aux occidentaux, les orientaux n’ont jamais cloisonné les différents savoirs, ils n’ont donc pas attribué à cet art de qualificatifs tel que classique, moderne, futuriste… Le temps n’a jamais été pris en compte pour qualifier un style, c’est ainsi que la calligraphie la plus ancienne, l’antique coufique, s’est le mieux adaptée aux nouvelles technologies. En la découvrant, certains l’apprécient comme un style d’avant-garde.
L’influence de cet Art sur l’occident
Aujourd’hui, l’occident reconnaît avec évidence l’influence qu’a exercé la civilisation islamique -dont les arts- sur lui. A ce propos Henri Loyrette,président-directeur du Louvre, confirme : « L’influence des arts de l’Islamsur notre culture est prégnante et continue ». La Calligraphie , quant à elle, faisant partie intégrante des arts islamiques, a pu inspirer aussi bien des artistes arabes qu’occidentaux ; et fascina particulièrement les artistes européens au XXè siècle comme on peut le constater chez Alechinsky , Dotremont ou Michaux par exemple. Cet art de la belle écriture devient prétexte à l’exploitation de nouvelles formes fluides et dynamiques. C’est ainsi que Kandinski dans ses recherches semble s’inscrire dans la continuité des réflexions déjà entamées par les grands maîtres calligraphes de l’Orient. Matissereconnaît l’influence qu’a exercé l’Art Arabe sur ses lignes et ses couleurs. Il dit à ce propos, en parlant de « volonté expansive », qu’il a tiré cette notion de l’Orient: « la révélation m’est venue de l’Orient ou plus exactement de l’Islam. Cet art m’a touché, en particulier lors de l’extraordinaire exposition de Munich… parce que cet art suggère un espace plus grand, un véritable espace plastique ».
Nous les Orientaux : notre rapport avec notre Art
Il est compréhensible que la sensibilité d’un artiste occidental le conduise à admirer ces lettres et à les utiliser dans ses œuvres, tout échange est enrichissant dans la mesure où il n’est pas un reniement de sa propre ascendance culturelle. Mais on voit des attitudes curieuses de la part d’artistes arabes qui traitent la lettre comme un sujet nouvellement apparus dans leur univers artistique. Ils pourraient facilement puiser dans leur propre culture pour y trouver la façon de la travailler; or certains s’en détournent pour s’affilier artificiellement à d’autres cultures. Un tel rejet ne produit que des œuvres insipides. Cela semble dangereux et critiquable! En effet la calligraphie est et a toujours été un grand Art produisant des œuvres magistrales. Inutile donc de chercher à lui donner ses lettres de noblesse en faisant appel à des concepts qui appartiennent à d’autres cultures.
Aujourd’hui, certains s’interrogent sur cet héritage : l’un l’ignore délibérément, l’autre le reproduit sans rien vouloir y changer comme si les formes traditionnelles devaient demeurer à jamais immuables. Ces deux attitudes sont inadéquates, l’art des lignes n’est pas lettre morte, il vit et doit continuer à évoluer. Cet art est comme une pâte entre les mains de l’artiste arabe ou musulman actuel, à lui de lui donner un nouvel essor.
Le mot de la fin
De nos jours, la Calligraphie est devenue la forme d’Art la plus vénérée dans le monde Islamique, car elle fait le lien entre l’héritage littéraire de la langue Arabe et l’Islam. Le résultat est une tradition artistique d’une extraordinaire beauté, et d’une grande richesse. L’universalisme de cet art s’impose en Extrême- Orient, Moyen-Orient ainsi qu’en Occident où son renouveau apparaît comme une revanche de l’écriture qu’on croyait confisquée. Il est habituel aujourd’hui de voir dans des expositions, des artistes peintres, photographes, plasticiens…côtoyer des peintres et artistes calligraphes.
La calligraphie a reconquis sa véritable signification de langage universel.
Sources :
▪ Calligraphie Arabe et enluminures (G. Alani – Conférence Mai 1995 – Les amis de l’université)
▪ La Calligraphie Arabe et splendeur Ottomane ( F. Bernardi – Chroniques – mémoires 2002)
▪ Le Louvre honore les Arts de l’Islam (A. Colonna-Césari, M. Leloup – L’Express du 03/11/2005)